Textes : Marilène Meckler - Photos et réalisation : René-G. Meckler - Tous droits  réservés

Voyage en poésie : Asie

Asie

Née en Inde

 

Indienne je suis, aujourd’hui telle hier,

Sous le joug masculin, courbant ma nuque brune,

Au lourd chignon natté de jasmin et de lune,

Dont le chant de cristal sait reposer ma chair.

 

Dès son premier regard, furtif, noyé de brumes,

Le soleil enjôleur ceint mon front irisé

Comme plume de paon dans le jour tamisé,

Et je subis sans mot l’empire des coutumes.

 

Avant de préparer l’extrait de tamarin,

A l’eau de riz je peins le seuil de la demeure,

En bienvenue aux dieux que ma démarche effleure,

Pareille au glissement d’un cygne riverain.

 

D’un point entre mes yeux, le vermillon délivre

Les vertus de Shiva, lorsque dansent mes mains,

Aux rythmes éprouvants des labeurs inhumains

Qui dessèchent mon corps assuré de revivre.

 

Si je ne connais pas le parfum du loisir,

Tout enfant j’apprenais l’odeur de la cannelle,

Les secrets du gingembre et de la citronnelle,

Pour que l’époux promis savoure le plaisir.

 

Et le soir, de ma peau que les bijoux butinent,

Je masse au lait d’amande un fils tant désiré,

M’endormant sous le vent de santal mordoré,

Dans mon sari soyeux où les astres cheminent.

 

                                                                                   Marilène Meckler

                                        Tiré de mon recueil "Passagère du vent"

 

Le vieil homme de la contrée de Nan Jing

 

En lisant l’avenir dans le regard de l’onde,

Sillons de la rivière à ses rides, pareils,

Il ouvre sur la vie à l’humeur vagabonde

Les yeux d’un petit fils où flottent les soleils.

 

Pour l’aider à gravir les marches de l’enfance

Qu’un vert-rizière baigne au rythme des moussons,

Le vieil homme Shi Zu transmet la connaissance :

Comprendre la nature en ses moindres frissons.

 

Bananiers, longaniers, bambous et pamplemousses

Sur l’éventail ouvert des monts cachant les Dieux,

Racontent au bambin les embrassades rousses

Liant la terre, l’eau, de serments radieux.

 

Dans la maison commune hébergeant vingt familles,

Forteresse d’argile enroulée à leur sort,

L’ancêtre a raccroché binettes et faucilles,

Voulant rester auprès du berceau qui s’endort.

 

Deux têtes à l’abri d’un seul chapeau conique

Explorent le présent sous l’aile du passé,

Les rires enlacés dans une humble musique.

De ses bras, le grand-père offre un nid balancé.

 

Sur le front de l’aïeul, ce babil des jours tendres

A le reflet du jade ou la senteur du thé ;

Tels ces lotus dessus l’étang des salamandres,

Enfin les premiers mots naissent d’un goût fruité !

 

Lorsque la nuit descend sur la paille du songe,

Ils attendent sans bruit, l’instant au bord des cils,

Le sampan de l’étoile où le sommeil s’allonge

Grisé par le gingembre aux arômes subtils.

 

                                                                                          Marilène Meckler

                                               Tiré de mon recueil "Passagère du vent"

 

 

Fille Ouzbèque

 

Un jour, tu partiras vivre sous la charpente

Que le garçon choisi bâtira de ses mains,

Avec le peuplier planté quand vint, sonnante,

L’heure de sa naissance, au retour des jasmins.

 

A l’ombre des mûriers, tu fais courir l’aiguille

Dont les cheveux brillants allument la couleur

Au fil d’un suzani* qu’au pays, chaque fille

Tend sur son lit d’épouse en signe de bonheur.

 

Afin de proclamer la chute des ténèbres,

Tu broderas un coq emplumé de soleil,

Ou l’arbre protecteur des poèmes célèbres,

Souhait de fertilité pour tes seins en éveil.

 

Lorsque la steppe étend à l’infini ses laines,

Ton oasis fleurit dans le clan familial.

Donne l’eau de l’aiguière aux paumes souveraines

Des aïeux respectés pour leur passé loyal.

 

Flotte sur leur mémoire un vent de caravane ;

La route de la soie ira jusqu’à leur mort.

Richesses d’Orient, caprices de sultanes,

Dans tes contes d’enfants, leur portaient réconfort.

 

Ecrivaine d’un songe oublié sous la treille,

Invente une autre histoire où les ans te diront

La douceur d’être mère, à nulle autre pareille,

Dès qu’un poupon reçoit un baiser sur le front.

 

Majolique indigo, céramique turquoise,

Les bleus de Samarcande ont baigné, dans ta voix,

Ces longs chants du désert que la flûte apprivoise.

Sous leurs gestes d’azur, souvent je te revois.

 

                                                                                               Marilène Meckler

                                              Tiré de mon recueil "Sur les ailes des mots"

 

Suzani* : tissu décoratif brodé à la main

 

Porteuses d'eau

 

Chasseresses du fond de mes yeux subjugués,

Dès que le petit jour emplit de bleu ses graines,

Vous réveillez d’un pas mes quatrains fatigués,

Sous l’envol des saris vers des pistes sereines :

 

Elles mènent à l’Eau, cet élément divin,

Principe de la vie et réponse sacrée

A la quête mystique au-delà du ravin,

Aux besoins du logis dans la poussière ocrée.

 

Les oiseaux de vos mains s’envolent de mon texte,

Se posant sur la jarre au-dessus de vos fronts.

Le fruit d’or d’une lèvre apporte le prétexte

D’évasion soudaine à mes labeurs poltrons.

 

Quand les pots sont remplis du précieux liquide,

Les rires et les mots, calices de l’instant,

S’amenuisent alors, comme empreinte timide

De la gazelle enfuie, au sable, palpitant.

 

Si vous disparaissez en courbes sensuelles,

Honorant d’un salut les images des dieux,

Il pleuvra sur mon cœur des essences cruelles :

Jasmin et patchouli semblent insidieux.

 

Moissonneuses d’azur pour mes chansons moroses

Qu’un joueur de sitar * essaiera d’égayer,

Vous suivez du regard mille cerfs-volants roses.

Ni foudre, ni démon, ne peut vous effrayer.

 

De retour dans vos murs animés d’arabesques,

Vous ondoierez l’enfant, pour, symboliquement,

Insuffler la vigueur de « karmas » pittoresques.

Vous garder sous la plume, apaise mon tourment !

 

                                                                                             Marilène Meckler

                                                  Tiré de mon recueil "Passagère du vent"

 

*- Sitar : luth à manche long, typique de la musique

 

Apprenti-moine à Luang Prabang

 

Dans la main du Mékong, s’étire la cité

Comme un chat aux yeux d’or pailletés de pagodes.

Sa pelote de brume offerte à la clarté,

Déroule la journée en calmes épisodes.

 

Avant l’aube d’encens, Pouvannarath reçoit

La quête du fidèle, un bol de riz, des mangues,

Cet unique repas qui dans l’ombre déçoit

Son appétit d’enfant aux pommettes exsangues.

 

Sur les pas de Bouddha jalonnés de lotus,

Il a quitté sa mère, à la mousson venue

Ouvrant le monastère aux parfums des humus

Échappés du hamac d‘une averse charnue.

 

Pour annoncer le temps d’abolir le désir,

L’heure en chaussons de soie a fermé son ombrelle

Et la robe safran peut s’user à loisir,

Sur les bancs endormis dans une ritournelle.

 

Répétant les mantras et les textes sacrés,

Le jeune bonze apprend à n’offenser personne.

La pluie aux voiles bleus, de ses ongles nacrés,

Pianote un air couvrant cette voix qui ronronne.

 

Le regard se remplit, du matin jusqu’au soir,

Car le fronton du temple est un livre d’images

Où le Ramayana*, légende pour l’espoir,

Raconte maints héros triomphant des orages.

 

Puis le regard frémit, premier signe d’amour,

Au passage innocent d’une blonde étrangère.

Demain, Pouvannarath guettera son retour,

A l’ombre de l’attente augmentant le mystère.

 

Lorsque le crépuscule à la peau de satin

S’approche du sommier imbibé de fatigue,

Aux bercements des nuits, tel un rêve lointain,

Le vide médité de l’offrande navigue.

 

Ramayana* : épopée de la mythologie hindoue

                                                                                          

                                                                                        Marilène Meckler

                            Tiré de mon recueil "Dans le regard des jours"

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Birmane

 

Au rythme du soleil, aux bercements des lunes,

Le temps inépuisable accompagne ses pas.

Drapé dans le vieil or d'offrandes opportunes,

Il soulage les peurs à l'ombre des stupas.

 

Comme une libellule osant passer le fleuve,

Sans bruit, Nupayala combat la pauvreté.

Le courage grandit, lotus blanc sur l'épreuve,

Un doux sourire invite au partage fruité.

 

Passerelle ivoirine au seuil de la légende,

Ses bras remplis d'encens et d'iris ingénus,

Loin des réalités, tracent une guirlande

Pour le temple vibrant d'espoirs entretenus.

 

Au hasard des marchés, le feu des rubis chante :

C'est le cœur des birmans palpitant sous le sol ;

Nupayala comprend la souffrance tranchante

Des mineurs enchaînés au funeste licol.

 

Elle parle aux esprits des forêts et des sources

Et trouve dans leur voix l'accent de liberté,

Tison réunissant d'innombrables ressources

Tels famille et honneur, puits de sérénité.

  

 Le fard de tanaka* protège son visage

Dont le charme floral naît de grands sentiments.

Dans ses yeux d'Orient, je lis son âme sage,

Eau calme que Bouddha préserve des tourments.

 

                                                                                          Marilène Meckler

                                                Tiré de mon recueil "Passagère du vent"

 

Tanaka* : fard protecteur provenant de l'arbre à tanaka. 

 

Femmes Rabaris1

 

Sous un vol de flamants, inventer la couleur

Raconter leur enfance au rythme de l’aiguille,

Leur donnent le pouvoir d’éloigner le malheur,

Ce démon toujours prêt à quitter sa coquille.

 

Puis avec le Divin, vivre en intimité

Dans le bungo2 paré de lignes ondoyantes,

Souvenir de rivière à jamais incrusté

Aux lèvres du désert qui s’ouvrent effrayantes.

 

Attendant père, époux, ces bergers-chameliers,

Sur les bords des marais, partis en transhumance,

Les brodeuses du Kutch3, près des bougainvilliers,

Dessinent un langage au son du fil en transe.

 

La soie et le coton capturent des miroirs

Comme ces éclats d’eau que je goûte à leur âme,

En sèment les tissus pour, ainsi, tous les soirs

Troubler le mauvais œil que le bougeoir enflamme.

 

Désirant aveugler les esprits malfaisants,

Les femmes Rabari cousent sur leurs grands voiles

Les perles de l’amour dont le rouge grisant

S’échappent de leur voix et touchent les étoiles.

 

Résonnent à mon front les bracelets d'argent               

Que le sable ternit sur les frêles chevilles.

Et je pense aux vouloirs de ces mains voltigeant

Qui sauveront un art transmis de mère aux filles.

 

                                                                                      Marilène Meckler

                                    Tiré de mon recueil "Meunière de l'instant"

 

1- Rabari : Les Rabari sont un peuple de l’Inde vivant

principalement au Gujarat et au Rajasthan

2- Bungo : hutte de terre séchée

3- Kutch : pâturages des marais avant le désert

 

                                                                                             

Vietnamiennes

 

Les femmes du Viêtnam, frêles, toujours présentes,

En profonde symbiose avec le végétal,

Sillonnent la mangrove aux algues apaisantes

Comme de longs soupirs d’encens et de santal.

 

Du soleil à la lune, un vol de chevelures

S’évapore d’un souffle ainsi qu’un « ao-dail* »

Et de la ville aux champs, se gardant des brûlures,

Leur regard étiré dépasse l’éventail.

 

Ensemble se ployant sur l’âme des rizières,

En file trottinant sous des fléaux pesants,

Vers des marchés sur terre ou partis en croisières,

Elles sèment leurs voix sur des fleuves grisants.

 

Paniers remplis de fruits sur des têtes altières,

Elles tendent aux gens qui passent les deltas,

Des rires et des mains sous les brumes côtières

Et leurs pas sont bruissants comme des taffetas.

 

Sur pirogue d’osier, sur rêve inaccessible,

Elles balanceront leur corps trop émouvant,

De grands foulards drapés sur leur chapeau paisible

Puis autour de leurs seins pour porter un enfant.

 

C’est en lisant la vie aux rides des visages

Des aïeux respectés, courbés sur les autels,

Qu’elles découvriront la lumière des sages

Peignant les sentiments de ses crayons-pastels.

 

                                                                                             Marilène Meckler

                                             Tiré de mon recueil "Sur les ailes des mots"

 

* ao-daïl : vêtement traditionnel de la femme Vietnamienne

                      (tunique longue fendue sur pantalon large)

 

                                                                                                         

 

Hiroshima

 

Au temps délicieux des cerisiers en fleurs, 

J’ai vu Hiroshima pleurer, dans la lumière,

Malgré le temps passé dont les doigts guérisseurs

Ont, si longtemps, lavé la plaie, en la rivière.

 

Tragédie historique et message d’espoir,

Devenue, à la fois, la veuve et l’orpheline,

Pour la paix, elle a su vaincre sa peur du noir,

Sous la flamme enlevée à l’île coralline1.

 

Seul, un son de la cloche interroge, parfois,

Le silence d’azur des foules recueillies,

Près du dôme où la bombe a surpris, autrefois,

Cette douceur de vivre aux musiques jaillies.

 

Témoignage poignant de l’infini pouvoir

Des esprits habitant cette Nature aimée,

Le Torii2 survécut au sombre désespoir

Et aux vagues de feu, de cendre, de fumée.

 

Luttant contre le mal, du bout de ses dix ans,

Fille des matins bleus qui suivirent le drame,

Sadako3 modela, de gestes artisans,

Mille oiseaux de papier qui pesaient moins d’un gramme.

 

Symbole de bonheur et de longévité,

La grue origami, dans ses ailes de moire,

N’aura pu la guérir et, depuis, chaque été,

Les écoliers du monde honorent sa mémoire.

 

                                                                                  Marilène Meckler

                            

1 - Coralline : adjectif signifiant qui a la couleur du corail.

Les sanctuaires de cette île sacrée ont tous la couleur vermillon 

 

2 -Torii : Portique indiquant l’entrée des temples shintoïstes

 

3 -Sadako, fillette de dix ans, espérait que lorsqu’elle aurait confectionné

le millième oiseau en origami, elle guérirait de cette leucémie,

conséquence de l’explosion de la bombe. Mais il n’en fut rien.

Éternel Japon

 

Lasse et désemparée, en des jours ordinaires,

Notre âme avait rêvé de ces lieux enchanteurs

Dont nos regards, bientôt, goberaient les couleurs,

Dans l’éternel Japon peuplé de sanctuaires.

 

Malgré la cruauté des esprits déchaînés,

Le pays sut garder la douceur des estampes,

Frissons mélodieux des kotos1 amenés

Près des nombreux toriis2 priant avec les lampes.

 

Sous l’envol des châteaux pareils aux blancs hérons,

Les cerisiers d’avril, en chemise fleurie,

Soupirent de plaisir dans tous les environs,

Touchant les toits de chaume enclins aux rêveries.

 

Caresses du pinceau, sur le papier de riz !

Depuis toujours, pendus aux bras de la montagne,

Et bercés par la vague, ils sont nos favoris,

Ces hameaux de pêcheurs s’éveillant, sous leur pagne.

 

Les noces de la mer et du fier océan

Enfantent, par milliers, des îles d’émeraude

Où cèdres et bambous forgent un nouvel an,

Émus par les soupirs de chaque source chaude.

 

D’autrefois à nos jours, les temples et jardins

Vénèrent, dans leur sein, l’esprit de la nature,

Envoûtante déesse apprivoisant les daims

Et les hommes perdus, en quête d’aventure.

 

Un peuple courageux comme les samouraïs,

Fidèle à son passé, soucieux d’esthétique,

A préservé son cœur, pur, sous les éventails

Héritage sauvé, sous une lune antique.

 

                                                                                                      Marilène Meckler

        

1 - Koto : instrument de musique à cordes.

2 - Torii : portique vermillon indiquant l’entrée des sanctuaires shintoïstes.

 

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